INTERVIEW : 1996-11-08 Joseph Arthur et ses Ombres (by Eric Dahan)



JOSEPH ARTHUR ET SES OMBRES. VINGT-CINQ ANS DONT QUELQUES-UNS D'ANALYSE, CET AUTEUR-COMPOSITEUR AMÉRICAIN OUVRE LE FESTIVAL.

Par Eric Dahan— 8 novembre 1996 à 01:55


Festival Fnac-Inrockuptibles, à Paris; ce soir au Divan du Monde:


Un intérieur modeste de Streatham, banlieue verdoyante de Londres où réside actuellement Joseph Arthur, révélation new-yorkaise de l'année, avec une petite amie qui joue Ophélie dans une production de Hamlet sur le West End.

Une histoire d'amour mais aussi de raison, l'original ayant été repéré et engagé sur le label Real World par l'ex-Genesis Peter Gabriel. Au mur, les toiles de Joseph Arthur (également illustrateur de son CD) représentent ­ entre Bacon et Basquiat ­ un homme se tirant une balle dans la tête, ou un couple en situation moins inquiétante. Sur la table de chevet, Mystery Train, du journaliste rock Greil Marcus, et un Jim Harrison. Un petit monde qui permet déjà au fan de chanson rock lettrée, de Cohen à Palace en passant par Lou Reed, de se repérer.

Prétexte de cette rencontre, on l'aura deviné, la sortie de Big City Secrets, premier album de Joseph Arthur qu'on entend sur la bande FM parisienne et qui semble rencontrer le type d'accueil réservé il y a deux ans à un Jeff Buckley.

A la différence que, loin du lyrisme du fils de Tim Buckley, la voix d'Arthur charrie une mélancolie terne tenant de l'imagerie naïve d'un Folon, de la minutie emphatique d'un Robert Wyatt, du bricolage douloureux de l'avant-dernier Suzanne Vega (99.9 F), et de l'héroïsme sans éclat de groupes anglais des années 80, comme James ou House of Love.

Nippé façon Guerrisold, Joseph Arthur pourrait sortir des premiers David Lynch. De sa voix américaine, il confie qu'il aurait aimé parler français pour lire Baudelaire et Rimbaud, héritage new-yorkais oblige. C'est pourtant à Akron (Ohio),la ville de Devo et de Chrissie Hynde, qu'il nait le 28 septembre 1971, de mère agent d'assurances hispanique et de père avocat d'origine écossaise. Malgré une éducation libérale, le jeune Arthur n'échappe pas au piano dans le salon, même si la basse électrique prend le relais de Mozart à l'adolescence.

Au fur et à mesure qu'il se raconte, Joseph livre des clés: s'il a appris à s'aimer finalement, «c'est le résultat d'un investissement coûteux». Enfant, avant le divan, il aura «essayé de charmer et de gagner l'amitié des autres en faisant le clown, en étant hyperactif».

Avec des copains plus âgés qui écoutent Led Zep et Hendrix, Joseph fonde des groupes, le plus notable étant Frankie Starr & The Chill Factor, formation de blues dont il tient la basse et qui ouvre pour Stevie Ray Vaughan, le Texan disparu. Mais à raison de cinq shows par semaine, celui qui se rêve déjà nouveau Jaco Pastorius, se trouve, pour cause de mononucléose, contraint de choisir entre les études et la musique. A Atlanta, où il vit de 18 à 24 ans, Arthur lit, se drogue, joue avec les Ten Zen Men et fonde Belly Button, sous influence Hüsker Dü, où pointent déjà les velléités d'auteur sous influence Dylan et Lennon.

Une cassette de ses chansons atterrit chez Peter Gabriel, qui emmène avec lui Lou Reed au Fez, un club folk de New York où Arthur se produit avec la guitare sèche. Pendant le dîner avec les deux stars qui suit, Joseph va souvent aux toilettes se rafraichir le visage; il ne rêve pourtant pas: le pied à l'étrier, il figure bientôt à l'affiche du festival Womad à Reading, et se retrouve dans les studios Real World, à enregistrer ses étranges ritournelles dérangées, inspirées par «le regard des autres qui influe sur la propre perception qu'on a de soi-même» (Good About Me), mais aussi par sa soeur aînée (Mercedes), qu'il encourage à «s'accepter», et par cet ami d'enfance, Mikel K., sans qui la fameuse K7 ne serait jamais parvenue à Peter Gabriel, «à qui on peut toujours s'accrocher quand ça va mal».

Les livres de Herman Hesse aident aussi Arthur, qui prie et médite à l'occasion, en quête «non pas de valeurs morales», mais au moins «d'une façon de vivre en étant moins tourné sur soi-même». Joseph Arthur ajoute que «ses oeuvres de Hesse aident à vivre, calmant au lieu d'exalter... Pendant un temps, j'étais fasciné par ce tableau de Bacon montrant une bouche avec des oreilles, comme un rayon de lumière sur l'aspect honteux de l'humanité, la faim, l'aliénation. Longtemps, moi-même je m'efforçais de ne montrer que mon côté attirant.»

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