INTERVIEW : 2008-10-25 L'artiste transitoire et ses perruques (by Paul Journet)




PHOTO: MARTIN CHAMBERLAND,


Pour la deuxième fois depuis 2007, Joseph Arthur débarque à Montréal avec une nouvelle exposition, Wig. Entre les deux, l'artiste multidisciplinaire a eu le temps de lancer pas moins de six disques. Discussion sur les cheveux, l'identité et les freaks.

À notre arrivée à la galerie Pangée du Vieux-Montréal, on reconnaît instantanément Joseph Arthur. C'est l'efflanqué de 6'4 ou presque avec de simili bottes de cowboy, des cheveux négligés et un veston ocre sali par la peinture.

À trois heures de son vernissage, il s'acharne silencieusement au marteau. Un flash qu'il vient d'avoir. Il accroche de fausses perruques sur une bibliothèque pendant que gisent sur le plancher leur emballage de style Dollarama.

«Pourquoi mon exposition s'appelle Wig? Les gens disent souvent que mes toiles ressemblent à des cheveux. Ça m'emmerde un peu. C'est même devenu une crainte, et mes craintes, j'aime les confronter», justifie-t-il nonchalamment.

La voix est grave et le ton lent, léger comme un éléphant qui titube. Joseph Arthur est parfois qualifié de froid ou suffisant. Mais ce n'est qu'une façade. Quelques minutes de conversation suffisent pour révéler un rêveur d'une rare affabilité, et très capable d'autodérision.

Pour Arthur, le beau réside dans le mystère. Dans l'indicible. Il n'aime donc pas trop qu'on lui demande de rationaliser son art. «Pourquoi je peins? Pourquoi je chante? J'évite les questions sans réponses. Je ne me réveille pas le matin en me disant: je vais symboliser la mort dans ma toile», lance-t-il avant d'interrompre son envolée par un autre rire bien gras.

«Mon travail reste très intuitif, reprend-il. Je commence en pensant à la technique - un coup de fusain, une couleur d'acrylique. Le reste s'enchaîne tout seul. Le thème ou le sens, si tu veux, vient inconsciemment, d'un endroit que je ne contrôle pas.»

Les thèmes de ses tableaux restent plus sombres que ceux de sa musique, sorte de folk-rock qui plane dans une douce amertume. «Mes chansons ne sont pas forcément joyeuses, convient-il. Mais le simple fait de chanter ressemble quand même à une petite célébration pour moi. Peindre, au contraire, est très solitaire. Presque étrange. C'est bizarre, non, cette idée qu'un adulte mature s'enferme l'après-midi pour étaler des couleurs sur une toile.»

New York sur le crack

Avec Joseph Arthur, le terme prolifique n'est pas exagéré. Sans vraiment ralentir sa production en arts visuels, il a lancé pas moins de cinq albums cette année: Could We Survive, Crazy Rain, Vagabond Skies, Foreign Girls et Temporary People.

«Sometimes I feel like I'm 25 different people, chante-t-il dans la pièce-titre du plus récent disque. Un sentiment angoissant? «Un peu, répond-il. J'y pensais encore hier soir dans ma chambre d'hôtel. L'identité, c'est quelque chose de tellement transitoire. Elle change toujours un peu, ou finit parfois par se fixer sans avertissement, au hasard d'une rencontre ou d'un événement.»

Ses «moi» temporaires, Joseph Arthur les exprime dans ses innombrables chansons, poèmes et tableaux. Il crée constamment, rapidement, comme autant de polaroids de ses états d'âme. L'antithèse d'un Leonard Cohen qui retravaille un texte pendant des années pour exprimer une idée. Pratiquement tous les jours, l'Américain de 37 ans pitonne un nouveau poème sur son BlackBerry, qu'il met ensuite en ligne sur son site. «Oui, mes vers sont simples et courts, acquiesce-t-il. C'est parce que l'écran est petit! Ça, et aussi parce que je n'ai jamais fréquenté l'université.»

L'année dernière, il inaugurait dans le quartier Dumbo de Brooklyn son MOMAR - Museum of Modern Arthur. En plus du clin d'oeil évident au MOMA, il s'agit de sa tentative - sans prétention - de recréer un Factory à la Warhol. C'est là qu'il réalise la plupart de ses oeuvres. Du moins pour l'instant.

«On s'est fait évincer plus tôt cette année, raconte-t-il. Notre proprio vient de nous réadmettre, mais je ne sais pas trop pour combien de temps.»

Le natif d'Akron, Ohio, n'écarte pas un déménagement dans une autre ville. «New York devient trop tranquille, comme un deuxième Boston. Je cherche un genre de New York sur le crack, avec des gens qui brassent et dérangent. C'est une forme d'oxygène, ça. En fait, j'attends le prochain Marilyn Manson qui me fera freaker.»

Wig, à la galerie Pangée (40, rue Saint-Paul Ouest) jusqu'au 16 novembre.






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