INTERVIEW : 2000-03-21 Abus Dangereux Interview (by Sébastien et Cathimini)
Les quartiers chics brillaient sous un fort joli soleil de mars. Nous avons exceptionnellement préféré nous enfermer dans les obscurs salons d'un grand hôtel parisien à la lumière sous-tamisée. Joseph Arthur ne devait pas y quitter ses lunettes fumées, saumon. Une certaine inquiétude nous habitait depuis que nous avions lu, à peine quelques heures auparavant, les dernières pages de son journal de bord/tournée sur le net. Il y évoquait l'ennui écrasant que lui infligeaient les interviews et la platitude des questions qui lui étaient généralement posées. Nous n'avions aucune question du genre " Comment va Ben Harper ?" ou "As tu des nouvelles de Lou Reed ?", mais nous avons tout de même pris le temps de remodeler in extremis quelques articulations de l'interview avant de le rencontrer. Au cas où... : nous ne voulions pas lui paraître ennuyeux, même pour une demi-heure.
En fait de demi-heure, une heure plus tard Joseph lâchait enfin ses crayons et nous devions nous résoudre à laisser en suspens notre envie de discussion qui avait commencé il y a 3 ans, au détour d’une première rencontre amusée et qui avait laissé de belles traces dans le Abus Dangereux de l’époque. "Oh, la vache! J'avais fait ces dessins pour toi ? Regarde : "le cerveau et le cœur". C'est super. Regarde la photo, j'ai l'air jeune! Est ce que j'ai l'air plus jeune là-dessus... ou bien j'ai la même tête? "
Question surprenante de la part d’un song writer habitué à nous faire vibrer par des chansons au minimalisme rêche et émotionnel qui ne s’encombrent que de l’essentiel. Mais pour qui connaît un temps soit peu l’homme, cette question est aussi à sa place dans sa bouche que la satisfaction qu’il tire de notre émerveillement devant les dessins dont il a remplis son livre de bord, sa coquetterie à garder son blouson rouge pour les photos ou sa fierté devant l’objet que nous venons de poser sur la table : Come to where I'm from.
Joseph Arthur : Oh, regarde çà ! (s’adressant à Graham, l’indispensable homme de l’ombre à la fois sonorisateur, tour manager, roadie, driver, nounou et surtout ami) Je suis si content de la façon dont c'est sorti... à part le sticker. Mais j'adore le fond argent sur le CD. Je voudrais que tout le monde ait le CD avec le fond argent. Mais en Amérique le CD a un fond blanc...
Le disque est déjà sorti en France mais pas encore aux Etats-Unis. Pourquoi?
Parce que je suis ici en tournée avec Ben Harper et qu'il y a déjà une base de fans qui suivent ...alors voilà... Ecoutez, j'ai envie de dessiner la couverture de votre prochain numéro. (illico, nous lui donnons un papier et des crayons)
La dernière fois que nous t'avons croisé, tu nous as dit que ton nouvel album serait un double CD... Où est passé le second CD ?
Il s'est perdu, d'une certaine manière. J'ai réalisé qu'il serait plus simple d'en sortir un seul. Il y avait beaucoup de musique et pour les fans çà aurait été super, mais pour les personnes qui découvrent ma musique avec ce disque, il semblait que c’était peut-être fait trop d'un coup. C'était mieux d'avoir un "moins mais plus" pour commencer, tu vois. Je ressentais une sorte de frustration à force de vouloir sortir de la musique plus vite que je n'avais pu le faire auparavant. Mais ce n'est pas une bonne raison pour le faire. Le disque est là, prêt à partir, je le sortirai quand il sera temps de le faire.
Alors tout est déjà enregistré ?
Un disque entier est prêt. On a enregistré "Vacancy", "Come to where I'm from" et un autre disque en même temps. Nous avons enregistré quelque chose comme 40 chansons.
Je vois à présent pourquoi tu as autant d'inédits sur scène… C'est pourquoi on retrouve "History" ou "In the sun" que tu jouais déjà il y a trois ans ?
Oh, c'était il y a 500 ans... C'est un peu bizarre mais bon... Tu vois ce que je veux dire ?
Pas vraiment, mais il plonge le nez sur la page que nous lui avons donnée pour s’exprimer et se concentre sur son dessin. Joseph Arthur maintenant, dessinait. Nous commencions à nous mordre les doigts de lui avoir refilé du papier et des crayons. Nous avions fait cela comme on le fait avec un enfant turbulent : pour tuer son (éventuel) ennui, pour l'occuper. Ou pour le récompenser de répondre sagement à nos questions. Ces accessoires l'empêchaient de se concentrer sur la conversation. Mais il était si touchant de le voir s'appliquer sur son dessin. Joseph Arthur est un enfant. Sa manière d'évacuer les sujets qui l'embarrassent, en se taisant, en faisant mine de s'appliquer sur son dessin, sans plus lever le regard, en s'enfermant au fond de lui-même (dans sa prison) le trahit.
Joseph Arthur est aussi un adulte très mature pour ses 28 ans. Ses premiers textes l'attestaient déjà il y a quatre ans. Sa façon de peser ses mots pendant l'interview le confirme. Des mots simples, ouverts, qui ne sont presque jamais catégoriques. Il ne vous contredit jamais sur la perception que vous avez de son travail, et même il vous conforte, vous encourage. Comme ses chansons, il vous renvoie une image de vous même, parfois agréable, parfois gênante.
Tu as besoin de roder tes morceaux sur scène avant de les enregistrer ?
Non ce n'est pas vraiment çà... J'écris beaucoup de chansons, j’en avais déjà plein d’avance à l’époque de "Big city secrets" et j'en ai écrit encore beaucoup d'autres depuis tout ce temps. Je les joue en concert parce que... çà vient du cœur, tu vois. Mais seules les bonnes chansons restent viables, car elles sont imparables, quelque part, à mes yeux. Je prends toujours du plaisir à faire "Big city secret", "Mercedes", "In the sun", et même peut être plus maintenant qu’à l’époque où je l’ai écrite... voire un peu plus à chaque fois.
Il y a une grande différence entre les interprétations dépouillées que tu en fais en public et les versions de l'album, en particuliers pour "In the sun". Est-ce que tu as déjà tous ces arrangements en tête avant d'entrer en studio ?
Non, çà se développe au fur et à mesure de l’inspiration en studio. Sur ce disque, j’ai empilé plein de couches sonores, jouant beaucoup de parties de guitares, de lignes de basse…Je voulais simplement m’éclater. Mais je pense qu’à l’avenir je ferai quelque chose de plus minimal. Il faut dire que le prochain disque que Graham et moi sommes en train de préparer est un live. Nous nous devions de le faire parce que c’est tellement différent du studio et tout le monde nous le réclamait. Nous enregistrons tous les concerts… (c’est la soirée du 19 juin 2000 à Dallas qui a finalement été choisie pour représenter au mieux l’émotion qu’une guitare acoustique et des boucles live peuvent produire quand elles sont manipulées par Joseph Arthur)
"Vacancy" sonne aussi riche que "Come to where I'm from" mais n'a pas du tout la même facture. Peux-tu parler de ton travail avec T-Bone Burnett ?
Je l'ai rencontré via Yves Beauvais, qui travaille chez Atlantic Records. Je lui ai parlé et nous sommes tombés d’accord sur l’idée d’un disque vivant et spontané. C'est bizarre que "Vacancy" sonne aussi différemment de " Come to where I’m from" car nous les avons enregistrés à peu près en même temps. Mais ils ont un son très différent l'un de l'autre, non ?
Pas seulement le son...
Des atmosphères très différentes.
En fait, "Vacancy" sonne un peu comme les "répètes" du nouvel album.
Ah oui... J'aime vraiment "Vacancy".
Nous aussi !
Ah oui ? Bien.
Sur "Vacancy", "Crying on sunday" est très différent des autres morceaux. On dirait un vieux classique de rock'n'roll.
Ouais! En Amérique, tous les critiques trouvent que c'est le meilleur morceau du disque et c'est celle que j’aime le moins. Quand j'écoute "Vacancy", c'est le seul morceau que je saute. Mais c’était sympa à faire et je ne regrette pas de l'avoir mise sur le disque, mais c'était presque en me disant "je ne suis pas sûr... ok, merde, c'est marrant", tu vois?
Il y a une autre chanson très différente, sur le dernier album celle-ci, et nous aimerions en savoir plus, c'est "Creation of a stain".
Ah oui ? (après une longue hésitation) C'était après environ une semaine de sobriété et c'est
sorti comme çà : splash ! (comme s'il vomissait) Je l'ai écrite en une nuit. Je riais en l'écrivant, puis on l'a répété et on a gardé la prise. Ca s'entend au début du morceau : je cherche ma voix, puis Carla arrive sur la batterie, s'arrête et repart sur autre chose. On ne l'a jamais ré-enregistrée. Au moment d'assembler l'album, certaines personnes disaient "eh, c'est bon çà !" alors on a décidé de le mettre à la fin… pour l'énergie. Mais j'ai des réactions partagées à propos de ce titre.
Tu viens de parler de Carla Azar, ta batteuse. C’est elle qui chante sur "Cockroach" ?
Oui, c'était la toute première fois qu'elle chantait. C'est un peu faux et elle est très embarrassée à ce sujet. Mais j'adore l’énergie qui sort de choses vulnérables comme cela. Qu'en pensez-vous?
Super! C'est une des chansons que l'on a réellement découvert sur l'album car tu jouais la plupart des morceaux depuis longtemps sur scène. Tu as l'air très prolifique... Y a-t-il une limite à cela ?
Eh bien, je ne sais pas. Peut-être n'y a-t-il aucune limite. Peut-être que je ne serai jamais à court. Tu sais, je suis sobre. Il semble qu'il n'y ait rien d'autre à faire que d'écrire des chansons, peindre... Et j'écris beaucoup de poésie en tournée. Je tiens un journal de la tournée...
Nous en avons imprimé quelques pages de sur ton site non officiel.
Oh, la vache!... Hey Graham, viens voir çà! Je suis en train de dessiner sur ces feuilles pour la couverture d’Abus Dangereux, car j'espère qu'ils le mettront en couverture... et regarde : au moment où je leur dis que j'écris de la poésie et un journal de la tournée, ils me disent "Oui, on l'a!" C'est bizarre ! (Joseph regarde les pages une à une, éberlué tandis que Graham se marre) Regarde, Kathleen (la webmaster du site) n'a pas reproduit la séquence du meurtre dans l’histoire que j’ai envoyé hier soir de Bordeaux...
Pourquoi te livrer ainsi sur un site internet ?...
Parce que cette fille a fait tout ce site sur moi et il est vraiment bien... Elle voulait que j'écrive quelque chose et j'ai commencé ce journal de tournée. De temps en temps je lui envoie des histoires comme cette fiction à propos d’une femme à Toulouse qui est venue nous réclamer de l'argent ou quelque chose... J'ai été un peu sarcastique à son égard et elle m'a fait ce geste : (avec son pouce, il trace sur sa gorge le mouvement d'un couteau d'une oreille à l'autre) comme çà. Donc j'ai raconté cette partie de l'histoire et puis je l'ai prolongé en racontant que Graham et moi l'avions pourchassée, que nous avions pris des couteaux à viande et que nous l'avions assassinée et... (rires) J'ai écrit ce truc et je me suis dit que c'était une tranche de prose bien foutue, donc : merde. Si les gens le prennent au sérieux il ne le devraient pas. Tu sais, c'était juste une fiction. Ensuite je me suis dit que sur le texte suivant, j’allais mettre un post-scriptum en précisant que ce n'était pas vrai, pour ma propre bonne conscience. Et c'est ce que j'ai fait. Mais Kathleen n’a pas retranscrit toute l’histoire…
Revenons à l'album. Tu as beaucoup de chansons qui traitent de la séparation, de personnes qui te manquent, de départs... Est-ce lié à ta vie quotidienne en tournée ?
Tu veux dire la perte?
En partie...
Il y a beaucoup de pertes, je ne sais pas... C'est sur cela que la vie est basée...
Et les rencontres !
Mouuais.
Tu ne parles jamais des rencontres. Tu ne parles que de ce qui vient après.
Ouais... .Je ne sais pas... (le nez sur son dessin)
C'est peut-être trop personnel pour que tu veuilles en parler ?
Non, pas du tout, je pense juste à çà (en montrant du doigt le journal qu’il a posé à côté de lui). C’est étrange ! C'est juste que je n'aime pas être censuré tu vois.
Sais tu qu’il y a beaucoup de demandes pour que tes textes soient disponibles. Ca t'ennuie que la plupart des Français ne comprennent pas tes textes ?
Mmh... ok... pff... (il fait semblant de se concentrer sur les couleurs à donner à son dessin) Le truc, c'est que je n'aime pas qu'ils soient analysés hors du contexte musical, et donc je n'ai pas voulu les reproduire sur le livret de "Come to where I’m from". De plus je voulais que le livret soit totalement "peinture", une sorte d'objet visuel. Je sais que l’internet est énorme maintenant et donc je n'ai pas jugé mauvais de mettre mes disques sur le site de Kathleen, à l'écart du packaging de l'album.
Tu peins toujours beaucoup ! Quel est le format de tes peintures ?
Il est variable. En fait les originaux ont été pris en photo et on les a poussés plus loin sur ordinateur. C'est sur des calques, tu vois. C'est comme les impressions multiples d'Andy Warhol. Je dois préciser que Zachary James Larner m'a aidé à améliorer tout cela. Je ne savais pas comment le mentionner de façon appropriée dans les crédits car je voulais que le procédé reste mystérieux. Mais d'un autre coté il m'a aidé... Je ne rends pas tout çà très mystérieux en en parlant dans la presse de toute façon...
Il y a trois ans, tu me disais que la peinture n'était pour toi pas aussi importante que la musique. Qu'en est-il aujourd'hui?... Je pense notamment à tes pochettes : la première était un portrait photo de toi et celle-ci est une peinture.
La peinture a pris plus d'importance. Mais je ne suis exposé dans aucune galerie. J'ai envoyé des trucs à quelqu'un en France et il n'a jamais répondu, alors... Oh, savez-vous qu'on a eu une nomination aux grammies pour la pochette de "Vacancy" ? C'était en pleine journée car c'est un prix dont tout le monde se fout éperdument mais nous y sommes quand même allés. Zac et moi étions sapés, nous sommes arrivés dans une énorme limousine… en retard. Nous courions dans les couloirs du lieu où çà se passait et nous avons trouvé nos places juste au moment où ils annonçaient les nominés. J’ai dit à Zac : " Ok je le sens, on ne l’a pas (rires). Et en effet, moins d’une minute après ils ont annoncé "Le gagnant est Ride with Bob". Nous nous sommes regardés et nous sommes partis sur le champ manger mexicain. Nous sommes revenus le soir pour la fête avec ce putain de Carlos Santana qui jouait…
C'est dommage car le packaging de Vacancy est vraiment d'enfer, autant d'un point de vue artistique que d'un point de vue technique.
Peut-être que celui-ci n'est pas aussi réussi que Vacancy, parce que c'est un gros tirage (montrant "Come to where I'm from"). Je ne crois pas que celui-ci sera nominé parce qu'il est un peu trop "normal" dans un sens.
Oui mais c'est une production de masse ce qui n'était pas le cas de Vacancy.
Je sais. Je ne voulais même pas vendre Vacancy. Je l'aime tellement…
Je reviens à la scène : est-ce que tes concerts t'aident à écrire ou est-ce simplement un moyen de présenter tes chansons au public ? Quand on te voit sur scène on a l'impression que tu testes tes chansons, que c'est un laboratoire pour toi. Certains de tes morceaux peuvent sonner de façon très différente d'un concert à l'autre.
Euh... Oui... (dessinant à nouveau) C'est juste une forme différente, non? J'écris beaucoup en tournée mais je n'écris pas vraiment "sur" scène, si tu vois ce que je veux dire? C'est juste que je teste des trucs sur scène. Et si elles survivent à cette forme, alors c'est bon. Généralement çà veut dire qu'il y a là quelque chose à développer. Je fais des jams sur "Big city secret" et sur "Prison" aussi. Tout ce que je fais avec des jams peut être très différent d'un soir à l'autre. La version de ce morceau sur "Vacancy", ce n'est que du "noise-rock". C'est comme du bruit pur, mais en concert, c'est peut-être l'une des plus belles chansons que j'ai. Personnellement je préfère de loin la version que j'en donne sur scène, mais j'aime aussi l'autre version, tu vois. C'était quelque chose qu'on a fait dans le studio. Quand on a ré-écouté la bande,c'était tellement fort... presqu’hystérique. On se disait “c'est hallucinant”. Ce fut un moment vraiment extatique, alors on l'a sorti. Et puis j'aime vraiment la version live alors je veux absolument faire un disque live.
Tu as écrit une chanson avec le groupe Gomez il y a quelques semaines...
Il s’agit de "I donated myself to the Mexican army", c'est une tuerie ! J'ai écrit cette chanson mais Gomez l'a enregistrée avec moi. A part eux je n’écris pas pour d’autres artistes. (depuis cette chanson ouvre tous ses concerts)
Dernière question à propos de la scène : J'ai entendu un concert que tu avais fait avec un bassiste et un batteur. Tu avais l'air très tendu...
Ah oui ? (très étonné par cette révélation)
...et je suis désolé de te dire çà mais...ce n'était pas terrible.
(rires) Je voudrais monter un groupe, mais je pense que des trucs comme çà arrivent naturellement, et que si ce n'est pas le cas, il ne faut pas forcer. Je joue dans ces salles énormes avec Ben (Harper) comme Bercy et çà sonne vraiment bien en solo. Alors je ne sais pas... Je voudrais évoluer mais je ne sais pas comment.
Mais tu fais déjà évoluer les choses en utilisant différentes techniques comme par exemple le bottle neck il y a deux ans ou ta façon de sampler ta voix à présent... alors...
Oui, c'est vrai… Mais il y a des personnes qui viennent me voir en disant "Oh, tu vas monter un groupe ?" comme si je devais le faire. Alors, je commence à penser que je devrais.
Non!…On a brièvement évoqué tes producteurs. Je voulais savoir quelle importance ils avaient sur ton travail.
Eh bien, à ce que j’en sais, tous deux m'ont permis de faire un disque. A l'époque du premier album, Marcus Dravs a eu une influence énorme musicalement sur le disque. C'était plus une collaboration. T-Bone m'a juste aidé à retrouver ma confiance à un moment où j'en avais besoin. Il m'a aussi permis d’aller jusqu’au bout de ma propre vision et l’a simplement rendu possible. Il n’a pas interféré avec cette vision et m’a soutenu face à certaines personnes. Donc je lui suis très reconnaissant de cela. Je ne pense pas avoir autant besoin à présent d’un producteur, comme çà a été le cas pour ces deux premiers disques. Simplement parce que je crois plus en moi-même. J'ai toujours quelqu'un à qui dire "qu'en penses-tu?". J'ai besoin de quelqu'un qui me dise si c'est bon ou si c'est mauvais. Mais je n'ai plus vraiment besoin de quelqu'un qui me produise au sens strict du terme. J'ai plutôt besoin d'un conseiller. Quelqu'un qui me rassure ou bien m'affirme ou me dissuade le cas échéant, peut-être. De toute façon, qui que tu sois, tu as besoin de quelqu'un d'autre pour garder un avis objectif sur la situation. Car en studio tu peux rapidement être largué sur tout ce que tu fais. Tu vois? Mais je ne sais pas. Je pense que la prochaine chose que je ferai sera un disque live potentiellement mixé... Peut-être que ce sera juste, tel que je me l'imagine aujourd'hui... çà pourrait être un disque live mixé avec l'autre disque qui aurait dû être la deuxième moitié de cet album ou quelque chose comme çà. Cà pourrait être sous-titré : disque studio / tiret / disque live. Ouais je pense que le prochain truc que je ferai sera avec un ami ou... tout seul... Peut-être que Graham pourrait m'aider…
Il est musicien ?
Oui, il est musicien, producteur, auteur... Il s'occupe du son sur scène pour moi, ce qui représente un atout pour les concerts... Il est super.
J'ai vu un concert où tu l'a présenté comme ton "tour manager et petite amie"...
Ma petite amie?... Ah ben d'accord... (rires)
Je reviens à l'écriture : Le premier album se nourrissait de ton enfance et de ton adolescence. Et j'ai le sentiment que celui-ci te représente plus dans ta vie actuelle... C'est vrai ?
Cà l'est, certainement. Mais encore une fois c'était il y a deux ans. Cà s'est passé comme çà autant que je sache... Mais les disques mettent trop de temps à sortir… Non, je devrais dire que ce disque me représente dans ma vie actuelle.
Dans ta vie d'adulte peut-être…
Peut-être… Je pense que quelque part l'âme des chansons n'a pas vraiment beaucoup évolué. Je me trompe peut-être mais les chansons de "Big city secrets" pour moi sont aussi bonnes que les chansons de cet album. La production est différente, l'atmosphère est différente. Le chant n'est pas aussi bon sur "Big city secrets", je ne crois pas. Néanmoins peut-être qu'il l'est. Peut-être qu'il est juste différent. Il est plus naïf. Mais il dégage une innocence aussi, ce qui est peut-être parfait. qui sait? Quoiqu’il en soit, il faut continuer. Tu vois ce que je veux dire…
A mon avis le premier album était plus "british" et celui-ci plus américain.
Je suis d'accord à cent pour cent. Oui, le premier sonnait très européen : fait aux somptueux studios de Peter Gabriel avec un producteur allemand et des musiciens anglais. Alors que le second est fait avec T-"fucking" Bone Burnett à Los Angeles… Tu vois, un texan et avec Rick Will de l'Ohio et Carla de l'Alabama… et Jim Keltner…
Cà veut dire que le lieu a également une incidence sur ton travail ?
Oui, le lieu, mais aussi tous ces Américains qui ont été cool, tu vois. Eh bien, c'est à peu près moi qui joue tout à part Carla à la batterie et Jim à la batterie sur un morceau…et Nadia au violoncelle. Elle est la seule anglaise. Donc, oui c'est un disque américain assurément.
C'est marrant cette façon de créditer les musiciens par des surnoms. Pourquoi Benzo par exemple ?
Je ne sais pas. J'espère que les gens ne détestent pas çà, ces personnes à qui j’ai donné des surnoms car c'était juste censé être marrant. Je me suis simplement dit qu'on faisait une pochette de disque et... J'avais déjà fait un peu la même chose sur le premier album, tu vois.
On cherche parfois des significations compliquées pour des trucs en fait très simples.
Non, çà va. Je me demande s'il n'y a pas plus de signification à y voir de toute façon. Je ne sais pas, je pense que tout est rempli de sens, comme dans les rêves. Mais tout ce que je sais, c'est que quand je l'ai fait, c’était très légèrement, sans connotation sérieuse en arrière pensée. Mais peut-être qu'à un niveau inconscient, c'est sérieux. Je ne sais pas.
Alors, "Exhausted" peut-être aussi n'est pas si sérieux ?
Je ne sais pas. Je pense qu'il y a quelque chose de classique dans cette chanson. Comme si elle avait été écrite depuis longtemps. Comme si elle avait toujours existé. Cà devrait être le cas... Je veux dire, tout le monde est "épuisé par sa propre imagination". C'est simple. Il y a plein de chansons simples sur ce disque. "Exhausted" et "Chemical". Ce sont des thèmes culturels, des chansons simplistes pour la société, je crois. Je me plante peut-être mais...
La société américaine peut-être ?...
Les drogues font partie de la culture de tout le monde…
Qu'est ce que çà te fait de jouer dans des salles énormes comme demain soir ?
Eh bien... je n'ai jamais joué dans quoique ce soit s’approchant de cette putain de taille auparavant. Je veux dire, c'est la plus grande salle couverte au monde, je crois... Bercy contient dix huit mille personnes. Je me sens super. Parce qu'on a joué à Toulouse devant neuf mille personnes et c'était très bien et ils ont été très sympas. Puis à Bordeaux il y avait sept mille personnes...
Sur ton journal de la tournée j'ai vu que le public espagnol n'avait pas été aussi réceptif.
J'étais un peu dans un état d'hyper-sensibilité. Ils ont beaucoup applaudi entre les morceaux, donc ils appréciaient, mais ils parlaient pendant les chansons. Mais j’ai été gâté parce que le Portugal c'était étonnant. Et maintenant c'est bien parti pour être étonnant à nouveau à Paris. Je ne sais pas comment çà va se passer devant dix huit mille personnes.
Juste une dernière question à propos de tes influences. Je n'aime pas parler d'influences en ce qui te concerne car à mon avis tu es très isolé sur l'échiquier musical.
Je disais à Graham que j’allais écrire un poème qui dit : les personnes auxquelles j'ai été comparé sont... Ensuite j'inscris une liste de toutes ces personnes et il y en aurait environ vingt cinq. Enfin en bas, j'écris : Je dois être un Dieu ! (rires)
Je ne vois personne sur la liste...
Il y a un million de personnes auxquelles j'ai été comparé...
Non, mais de ton côté... Je veux dire, par exemple dans une interview sur KCRW tu as mentionné Led Zepelin comme une de tes influences… Et je ne vois pas de rapport.
Ah oui! Je dis cela en parlant de quand j'étais gamin, avant même que j'écrive la moindre chanson... quand je fumais de l’herbe et que j’écoutais ce putain de "Communication breakdown" en me défonçant. (rires) Mais ce n'est pas une véritable influence. L'influence, c'est bizarre, quand on en parle, c'est décevant. Si on élimine tout, je dirais : Nirvana, Leonard Cohen, Bob Dylan, le Velvet Underground... et puis peut-être Jimmy Hendrix. Et c'est tout. Voici mes principales influences.
Tu as commencé comme bassiste, n’est ce pas. Et tu ne mettrais aucun bassiste sur la liste ?
Eh bien, Jaco Pastorius,...
D'accord, laisse tomber...
Non, je suis sérieux!... Et Stanley Clarke. Quand je joue de la basse, c'est ce que j'écoute. Ouais! Sérieusement : Jaco Pastorius et Stanley Clarke.
Et si Lou Reed et Peter Gabriel ont représenté une sacrée carte de visite au début de ta carrière, qu'en est il aujourd'hui que tes propres ailes ont poussé ?
Eh bien, c'est dingue... Toute cette histoire de Lou Reed est si décevante car il est juste venu voir un concert. J'en ai parlé et tout à coup on a présenté Lou Reed comme un fan. Ce qu'il n'est pas vraiment. Je ne pense pas qu'il rentre chez lui le soir et qu'il mette mon disque en disant "Waouh! Je suis scié par ce truc" Alors quand j'ai lu toutes ces conneries, particulièrement en France, je me suis dit : " bon sang mec, si Lou Reed tombe là-dessus, putain il va me... " Il est ami avec Peter, il est venu à un concert, il m'a dit de gentilles choses, et c’est tout. Peter c'est une autre histoire. Il est vraiment impliqué dans ma musique et tout çà. Mais avec Lou, ce fut plus...
…une grosse farce.
Ce n'est pas une farce! Car ce n'est pas quelque chose que j'avais inventé. La connexion entre Lou Reed et moi a été exagérée à l’occasion de la sortie du premier album. C'est comme cela qu'il faut le dire. (revenant à nouveau au journal de la tournée) : Bon sang, c'est trop bizarre… J'ai écrit exprès les e-mails moi-même, je les ai envoyés et je n'ai pas vérifié sur le site internet ou quoique ce soit de ce genre... Parce que dans un sens, je veux rester insouciant dans ce que je fais. C'est difficile d'être libre et de donner toutes ces informations... Tu penses que c'est bien ?
Encore une question, encore ce besoin d’avoir l’avis d’autrui, encore cette confiance en soi qui se nourrit d’une quête infatigable d’objectivité. Nul besoin de dissimuler ou de tricher avec Joseph Arthur car sa nonchalante sincérité doit trouver un reflet pour s'épanouir. Nous avons donc fini "au feeling" après avoir essayé d'organiser les propos que nous vous avons en grande partie retranscrits ici. En ressortant de cet hôtel sous-exposé, le soleil nous aveuglait. Nous aurions souhaité tirer Joseph Arthur par la manche, le sortir de ce décor de velours cramoisi et de marbre qui ne lui ressemblait pas. Mais la complicité que la musique peut instaurer entre un auteur et son auditoire ne peut pas jouer avec l’emploi du temps d’une future star en promo. Par contre elle s’accommode fort bien de l’obscurité de salles silencieuses qui plusieurs fois, cet automne encore, ont permis à Joseph de libérer ses démons de nous remplir l’esprit d’étoiles.
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